La Société Française d’Ecologie (SFE) vous propose le regard de de Philippe Clergeau sur la biodiversité urbaine.

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Biodiversité urbaine :
de l’inventaire naturaliste au fonctionnement écologique

Philippe Clergeau

Professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle

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Regard R8, édité par Anne Teyssèdre

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Mots clés : Biodiversité, ville, inventaires, espèces, écosystèmes, fonctionnement, paysage.

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Il y a eu peu de travaux d’inventaires et d’études écologiques sur les espèces qui vivent dans les villes jusqu’à ces dernières années. En effet, ce n’est que dans les années 1970-80 que les premières études ont été menées, par les anglo-saxons (cf. Gilbert 1980 ; Adams 1994), puis par des équipes de naturalistes et biologistes d’Europe centrale (cf. les travaux sur les oiseaux de Luniak en Pologne, et sur les végétaux par l’équipe de Sukopp en Allemagne). En France, alors que les inventaires et classifications d’espèces sont nombreuses depuis le 12ème siècle, ce n’est qu’à la fin du 19ème siècle que Vallot a débuté un inventaire de la flore des pavés de Paris, et qu’en 1926 que Jovet a réalisé le premier inventaire botanique urbain à Paris (cf. Lizet et coll. 1997). Et ce n’est que depuis quelques années que, grâce à des collaborations étroites entre services municipaux, scientifiques et associations de naturalistes, des inventaires plus complets de faune et de flore urbaines sont réalisés dans ce pays.

© Anne Teyssèdre

Ainsi, la plupart des villes sont aujourd’hui capables de présenter des listes des oiseaux et plantes de leurs espaces publics. Cependant, les études comparatives et les collaborations entre biologistes de différents pays commencent à peine à se développer. L’objectif est de pouvoir identifier les contraintes à l’installation et à la conservation d’une faune et d’une flore en milieu urbain, afin de dépasser la simple typologie de la qualité biologique de certains espaces, et d’être désormais de plus en plus associés à des décisions de gestion des parcs et espaces verts.

Au niveau biologique, les études menées (notamment dans les pays anglo-saxons), constatent à la fois les effets négatifs de la ville sur l’installation d’espèces sauvages (dus à la pollution, à la minéralisation, etc.) et, en même temps, la capacité d’adaptation de certaines populations pour se satisfaire des espaces transformés par l’homme. Le constat mondial est le suivant : la ville détruit la nature soit directement (par la destruction des habitats naturels) soit indirectement (par la fragmentation et l’isolement total des sites naturels), ou sinon, quand cette nature est présente, elle ne l’est que dans les quelques espaces qui lui sont dédiés. Parler des espèces sauvages en ville n’est donc possible qu’en s’intéressant d’abord à l’évolution des habitats disponibles pour ces espèces, dont l’état actuel est la résultante des projets d’urbanisme et des comportements des citadins. On identifiera ainsi principalement deux catégories d’espaces urbains : les parcs publics et les jardins privés. C’est en examinant leurs histoires respectives que l’on peut comprendre la mise en place des communautés animales et végétales actuellement visibles.

Par ailleurs, plusieurs travaux récents ont montré l’effet homogénéisant de l’urbanisation sur les faunes et les flores. En effet, du fait que la plupart des villes du monde ont une « structure » identique, on retrouve une tendance à la présence des mêmes espèces dans ces villes, alors que les biodiversités régionales peuvent être très différentes.

© Eckard Berberich

De plus, les introductions d’espèces, importantes en milieu urbain (cf. les plantes exotiques dans les jardins, les animaux de compagnies etc.), participent grandement à cette « banalisation ». Ce sont ainsi les mêmes espèces qui sont diffusées dans le monde à travers les jardineries et animaleries. Ces espèces, quand elles deviennent envahissantes (par exemple quand elles sortent des villes), sont reconnues comme un des dangers majeurs pour la conservation des biodiversités locales.

Les travaux en biodiversité urbaine demeurent cependant partiels et sectoriels. Les enjeux de « durabilité » de la faune et de la flore urbaine ont en effet une double implication : d’une part, il s’agit de comprendre le fonctionnement du système à des échelles spatiales plus larges que celle d’un parc ou d’un jardin urbain, et d’autre part, il s’agit de développer l’interdisciplinarité, indispensable à un véritable aménagement des territoires. Les débats menés par les écologues (notamment les écologues du paysage) se retrouvent ainsi au premier plan de cette nouvelle évolution de la biodiversité urbaine, à savoir l’élaboration de stratégies de gestion (cf. Clergeau 2007).

Enfin, ce nécessaire changement d’échelle justifie une nouvelle écologie urbaine. D’une part, la ville ne se définit plus comme une simple unité géographique séparée de son environnement périurbain, et les notions de mosaïque et de complexité urbaine deviennent un centre d’intérêt pour les écologues.

© Anne Teyssèdre

D’autre part, la ville est aujourd’hui rattrapée par son environnement naturel : ainsi, en développant progressivement des espaces à caractère naturel ou des zones agricoles au sein des zones d’habitation, des espèces animales ou végétales se sont installés à côté de l’homme, mais peuvent parfois poser des problèmes de cohabitation (cf. goéland en Europe, cerfs ou ours en Amérique). Il faudra donc gérer ces espèces en prenant en compte l’ensemble de l’agglomération urbaine et ses différents paysages. Il faudra également définir une biodiversité urbaine qui ne sera sans doute pas celle du biologiste classique (du fait du refus par le citadin de certaines espèces jugées dangereuses, etc.).

Une nouvelle écologie urbaine se trouve donc confrontée à la problématique environnementale. Maintenir la qualité des ressources (air, sol, eau, êtres vivants) ne peut plus être sectorisé et impose la production de connaissance et la mise en place de stratégies de gestion qui intègre ville et campagne. Les travaux pluridisciplinaires sur les fonctionnements de l’écosystème urbain se développent par exemple dans le cadre de l’Agence Nationale pour la Recherche (cf. http://www.trameverteurbaine.com). Ces connaissances pourraient être les bases scientifiques et techniques d’une évolution attendue des métiers de paysagiste et d’urbaniste.

Bibliographie

Adams L.W., Urban wildlife habitat, a landscape perspective. University of Minesota Press, Minneapolis, 1994
Clergeau P., Une écologie du paysage urbain. Ed. Apogée, Rennes, 2007.
Gilbert O.L., The ecology of urban habitats. Chapman & Hall, London, 1980.
Lizet B., Wolf A.E., Celecia J., coord., Sauvage dans la ville, hommage à P. Jovet. Revue d’ethnobiologie JATBA, MNHN éd., Paris, 1997.

Voir aussi ces numéros spéciaux sur la biodiversité urbaine :
– en anglais : Biological Conservation 10, 2006 ;
– en français : Biofutur 285, février 2008 ; La Recherche septembre 2008.
Et dans le n°39 de La Revue Durable « Eloge de la biodiversité commune », septembre 2010, deux articles sur la biodiversité en ville pp. 42-45.

 

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