Quelle structure de haie favorise le plus la biodiversité ? Une approche expérimentale des peuplements de prédateurs

Stephane Lecq

CNRS UPR 1934 – Centres d’Etudes Biologiques de Chizé
79360 Villiers-en-Bois, France
+33 (0)5 49 09 35 12

lecq (at) cebc.cnrs.fr

Dates de début et fin du séjour de terrain : 1 Mai 2010 – 25 Juillet 2010

Résumé

Evolution du paysage

Dans un contexte de baisse de biodiversité commune, l’objectif de cette étude est d’étudier l’importance des abris que fourni la haie pour la faune dans les paysage ruraux. L’accent est mis sur les espèces du « peuple des broussailles », souvent mal aimées et peu étudiées, tels que les arthropodes, les reptiles et amphibiens. Le début de la saison de terrain a commencé par une sélection des haies étudiées, puis leur caractérisation avec une mise en place d’un réseau de plaques refuges. Dès le début mars, la prospection a commencé avec le test de différents protocoles visant à identifier les différents taxons présents dans les haies en fonction des critères physiques de ces dernières. Cette étude n’utilisant pas de moyens létaux d’identification tels que les pots pièges, il a fallu tester différents protocoles axés sur l’identification directe des individus et la prise de photos pour les espèces non reconnues. En parallèle, la réalisation d’une zone expérimentale a été mise en place. Des haies avec ou sans talus ont été crée (construction des talus au tractopelle, plantation de 800 arbres et arbustes). La rencontre, via internet, d’un agriculteur biologique sur La Rochelle a permit d’établir une autre zone d’étude bien particulière (haies de bonne qualité, climat et peuplements différents, etc.). Selon des analyses préliminaires, il semble que la densité d’abris (présence ou non de talus, de fossé, de débris végétaux, etc.) favorise la biodiversité. Dans la tendance actuelle de l’Ecologie fonctionnelle, il apparait que les communautés présentent dans les haies à structure complexe ne soient pas forcément plus diversifiées en terme d’espèces mais surtout en terme de traits d’espèces. En tenant compte des travaux déjà réalisés sur l’importance de la complexité des écosystèmes pour leur fonctionnalité et leur production, cette mission ajoute une contribution pour la sauvegarde des haies. Il reste à continuer le travail de sensibilisation des acteurs directement impliqués auprès des haies (agriculteurs, agents communaux, etc.). Cependant, durant cette première année, l’accent à été mis sur la communication, et l’on peut d’ors et déjà remarquer un regain d’intérêt des propriétaires au sujet de leur haie, ainsi qu’une certaine fierté à posséder des haies hébergeant telle ou telle espèces rare ou seulement agréable à observer.

Justifications

La perte et la fragmentation d’habitats, liées aux activités d’origine humaines, sont une des causes majeures de la diminution de la biodiversité et de la disparition des espèces (Griffith et al. 1989). Par exemple, l’augmentation des réseaux routiers, de l’urbanisation et la modification des pratiques agricoles ont un impact majeur sur les populations. Les mécanismes mis en cause sont complexes, ils combinent des effets directs (déforestation, pollution…) et indirects (modification de l’habitat, diminution des ressources, faible recrutement…). Ces perturbations sont à même de modifier la structure des populations, tels que l’abondance, le sex-ratio, voire le rôle fonctionnel de la population au sein des communautés.

Un des grands changements des dernières décennies dans la variation de la qualité des habitats est l’intensification de l’agriculture caractérisée par une augmentation des intrants et une augmentation de la taille des parcelles. Ainsi, depuis l’après guerre avec l’essor de la mécanisation le nombre de haie a diminué de manière alarmante.

Haie accueillant une forte biodiversité

Pourtant les rôles des haies ne sont plus à prouver, elles servent de filtres biochimiques, de barrières contre l’érosion, de brise vent ou de refuge pour certaines espèces, et la liste reste non exhaustive.

De nombreux travaux montrent une amélioration de la production de biomasse ou de la stabilité de production avec l’augmentation  de la richesse en espèce. Ainsi, la diversité fonctionnelle a été identifiée comme le composant clé de la biodiversité pour le maintien et le fonctionnement des écosystèmes. En parallèle, d’autres études montrent que les haies peuvent accueillir un grand nombre d’espèces auxiliaires et qu’elles sont importantes pour le maintien de certains taxons (comme les oiseaux, les chauves souris ou les carabes). Cependant, les haies en elles même restent peu étudiées. Les études se concentrent sur l’importance dans le paysage (e.g connexion entre elles) ou leur influence sur les peuplements des auxiliaires de cultures comme les carabes qui aident à lutter contre certaines espèces phytophages.

Ainsi, cette étude veut étudier les haies pour elles même ; à savoir : un milieu fournissant une quantité d’abris vitale pour un grand nombre d’espèce. Cette notion de refuge est importante car depuis quelques années des aides sont fournies pour la plantation de haie et des efforts individuels sont réalisés pour le maintien des haies. Mais une haie en vaut elle une autre ? Toutes les haies sont elles identiques en termes d’écosystème ?

Nombre de communes ou de particuliers font de grands efforts pour planter des haies sur des bâches plastiques qui ne seront jamais enlevés, ou bien coincées entre  un caniveau et un trottoir.

Un autre problème vient de la mentalité des gens, puisque l’argument de « propreté » revient souvent afin de défendre un traitement au désherbant des pieds des haies, une taille naine et l’absence de pierres, débris végétaux ou de ronces. Il est donc nécessaire de faire des efforts de sensibilisation.

Méthodes

L’utilisation de plaques de fibro-ciment permet un protocole standardisé et d’observer de nombreux taxons.

L’étude se déroule en France dans la région de Poitou-Charentes, sur les communes de Chizé, Availles sur Chizé, Villiers en Bois, Les fosses (79) et de Dompierre sur mer (17).

Un premier axe est basé sur le suivi d’un terrain expérimental où des haies sont plantées suivant un protocole strict permettant d’étudier l’influence de la quantité de refuge fournis par la haie. En parallèle, un suivi est effectué sur des haies déjà présentes dans le paysage rural.

Dès le départ, cette étude est voulue comme la moins invasive et létale possible. Ainsi, les protocoles privilégiés (pots pièges, tente malaise, etc.) des entomologistes sont évités et aucun animal n’est mis dans l’alcool. La reconnaissance directement sur le terrain est donc nécessaire. Afin de calculer le taux d’erreur et en cas de doute sur l’individu des photographies sont prises.

Afin de faciliter le travail d’identification, des fiches avec les photos des espèces les plus courantes et les plus trompeuses (ressemblance avec une autre espèce) sont emmenées sur le terrain.

La première année a pour but de mettre en place des protocoles fiables permettant la comparaison des haies et l’identification des espèces. L’utilisation de plaques refuges, couramment utilisés pour les reptiles, des transects, des quadrats, des points d’observation et des recherches actives font parti des méthodes testées. A partir du nombre d’individus et des espèces rencontrés des indices de biodiversité (Shannon, Simpson) et de diversité fonctionnelle (FDiv, FEve, Fric, etc.) sont calculés.

Résultats et discussion

Une cigale venant de sortir de sa mue imaginale trouvée près de La Rochelle

Au cours de la première session de terrain, 56 527 individus répartis dans plus de 600 espèces ou morpho-espèces ont été observés. Actuellement les individus ne sont pas tous identifiés et un gros travail de photo-identification est en cours. Nous ne pouvons donc pas établir de certitudes mais des analyses préliminaires semblent montrer plusieurs faits intéressants.

Tout d’abord, les haies qui possèdent une structure physique complexe accueilleraient un plus grand nombre d’individus. Mais le nombre d’espèces ne semble pas être différent entre les types de haies. En y regardant de plus près, les espèces présentent ne sont pas identiques. Dans les haies complexes, la présence d’espèces liées aux milieux forestiers ou de lisières prédominent alors que dans les haies de « mauvaise qualité » ce sont plus des espèces prairiales et/ou des espèces très généralistes.

Nombre d’espèces communes restent pourtant peu connues du public comme de pentatomidae Zicrona caerulea qui arbore une couleur bleu électrique.

De plus, en se concentrant sur la diversité fonctionnelle, il semblerait que les haies riches en abris supportent une plus grande variété de traits différents. C’est-à-dire que les haies possédant des talus, des pierriers ou autres refuges, accueilleraient des espèces ayant des régimes alimentaires, des métabolismes, des tailles et des familles différentes. Elles serviraient aussi non seulement pour comme refuge mais aussi pour l’alimentation, l’accouplement, la reproduction et les soins parentaux. A contrario, les haies sans talus, débris végétaux ou traitées à outrance, n’accueilleraient que des espèces peu diversifiées en traits fonctionnels, ce qui corrobore l’hypothèse de la forte présence d’espèces généralistes. De plus, ces haies serviraient essentiellement de zone d’alimentation, notamment pour les insectes volants possédant de fortes capacités de dispersion.

Utilisation de la bourse

Comme prévu, la bourse SFE a permis de financer en partie cette étude.

Un GPS de randonnée permettant la géolocalisation des plaques et des haies

Un appareil photo compact de terrain. Au lieu des 2 appareils initialement prévu, le choix s’est porté sur un de meilleur qualité et plus résistant afin de survivre aux conditions de terrain et de faire des photographies macro.

Le reste de l’argent a servis pour de l’essence. Cet apport a permis notamment de travailler avec un agriculteur de La Rochelle qui travaille en agriculture raisonnée (agroforesterie, semis direct sans pré-labour, peu ou pas d’intrant, etc.).