La Société Française d’Ecologie (SFE) vous propose le regard de de Anne-Caroline Prévot-Julliard, Joanne Clavel et Pauline Teillac-Deschamps sur l’écologie de la conservation.

MERCI DE PARTICIPER à ces regards et débats sur la biodiversité en postant vos commentaires après cet article. Les auteurs vous répondront et une synthèse des contributions sera ajoutée après chaque article.

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Biodiversité et sociétés : les quatre « R » de la conservation

Anne-Caroline Prévot-Julliard, Joanne Clavel et Pauline Teillac-Deschamps

UMR 7204, Laboratoire CERSP, Muséum National d’Histoire Naturelle

( Fichier PDF  )

Regard R14, édité par Anne Teyssèdre

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Mots clés : Préservation de la biodiversité, sociétés, relation Homme-Nature, communication, valeurs, espaces protégés, habitats, restauration, réconciliation, reconnexion, stratégies et politiques.

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Après l’année internationale de la biodiversité, on ne peut que constater que les objectifs de conservation ne pourront être atteints que si les enjeux sont partagés par un grand nombre de citoyens. Conserver la biodiversité dépend alors de deux objectifs complémentaires : (1) préserver la biodiversité, partout où cela est possible et (2) augmenter le degré d’implication personnelle des citoyens dans les enjeux de conservation. Mais si la concordance entre ces deux objectifs peut sembler évidente, leur mise en œuvre conjointe s’avère souvent localement ardue, sinon conflictuelle. Ici, nous proposons une formalisation des cadres de mise en œuvre des projets locaux de conservation, qui permettrait de dépasser ces conflits : la flexibilité entre mise en réserve, restauration, réconciliation et reconnexion.
 

Mise en réserve dans des espaces protégés

Parc de la Vanoise, avec mouflons
© Eckard Berberich

Historiquement, la protection de la biodiversité a été pensée par la définition d’aires protégées, dans lesquelles les pressions humaines sont délibérément exclues (ou fortement contrôlées). Ces milieux sont gérés de façon à conserver un certain niveau de biodiversité, dans sa diversité taxonomique (Devictor et al., 2010), défini en fonction de la richesse spécifique et de l’abondance de certaines espèces ou habitats patrimoniaux.

L’objectif de conservation direct est alors atteint. Mais qu’en est-il du second objectif, encourager l’implication personnelle des citoyens ? Certes, des visiteurs sont souvent accueillis dans les réserves. Cependant, le nombre de personnes accueillies dans ces espaces est relativement faible et cette expérience de la nature reste exceptionnelle et loin de la vie quotidienne ; la nature présente dans les réserves correspond encore souvent à la vision très idéalisée d’une nature « vierge ». L’efficacité des réserves pour arriver à notre second objectif n’est donc encore pas très claire.

Restauration d’habitats

La restauration est définie comme “un moyen de préserver la diversité de la vie sur Terre et de rétablir une relation écologiquement saine entre la nature et la culture” (http://www.ser.org/about.asp). Certains auteurs ont récemment insisté sur le fait que les processus de restauration ne doivent pas chercher à revenir à une nature « originelle » (voir Miller 2007). Au contraire, les hommes pourraient rechercher par la restauration à augmenter la durabilité des systèmes hommes-natures. Les sciences écologiques et les technologies comme l’ingénierie écologique peuvent être combinées pour inventer ici de nouveaux concepts. De plus, quand les habitats restaurés hébergent des activités humaines, l’environnement social doit être pris en compte avant, pendant et après le processus de restauration.

© Anne Teyssèdre

Les processus de restauration ont donc deux objectifs : (i) restaurer des habitats (beaucoup d’écosystèmes en ont un besoin urgent) ; le premier objectif de conservation est directement atteint. (ii) Mettre les habitats restaurés à disposition du public à des fins d’éducation relative à l’environnement ; le second objectif est donc également invoqué, mais uniquement en termes d’éducation, qui demande à être questionnée (voir un prochain « regard »).

 
 

Réconciliation dans les habitats « anthropisés »

La plus grande partie de la surface terrestre est caractérisée par des liens étroits et anciens entre dynamiques de la biodiversité et activités humaines, notamment dans les terres agricoles. Dans ces espaces, la conservation de la biodiversité doit donc être combinée avec les besoins des populations humaines en constante augmentation. Les connaissances biologiques doivent être articulées avec une compréhension des liens sociaux et culturels des sociétés humaines avec la nature. C’est ce que propose de faire l’écologie de la réconciliation proposée par M. Rosenzweig en 2001.

La gestion d’une nature qui permette le développement du bien-être humain et des ressources naturelles peut ici passer par la valorisation des services écologiques apportés par la biodiversité aux humains (pollinisation, purification des eaux, maintien des sols…) et ce en cohérence avec le premier objectif de conservation de la biodiversité. Reste à encourager la mise en œuvre de politiques cohérentes avec ces enjeux.

Jachère © A-C. Prévot Julliard

De fait, pour être efficace, la réconciliation implique que les acteurs concernés soient au fait des enjeux de conservation, en plus des enjeux économiques et sociaux. Si les citoyens, par une utilisation durable des ressources naturelles et des activités de plein air respectueuses de l’environnement (chasse, pêche, randonnées, activités de plein air), augmentent leur expé- rience pratique de la nature, le second objectif de la conservation peut être atteint.
 
 

Reconnexion des humains avec la nature

Plusieurs auteurs (Miller 2005, Turner et al. 2004) ont relevé que dans les sociétés occidentales, les hommes et les femmes ont progressivement perdu le contact direct avec la nature. Ce contact peut pourtant être un levier pour réintégrer dans nos façons de penser le fait que nous faisons partie de celle-ci et que notre survie ou notre bien-être dépend directement de son bon fonctionnement. Ceci semble particulièrement vrai en zone urbaine, dont la surface et la population totale continuent d’augmenter en ce début du XXI° siècle. Suivant ce postulat, les citadins percevraient de moins en moins le caractère fonctionnel de la nature qu’ils côtoient dans leur vie de tous les jours et cette « déconnexion » s’accroitrait au cours des générations. Cette extinction de l’expérience, si elle existe, pourrait avoir des conséquences très négatives sur les demandes des futurs adultes vis-à-vis des décideurs politiques en ce qui concerne les stratégies de conservation.

© Anne-Caroline Prévot Julliard

Au-delà de leur objectif principal centré sur la création de logements et d’activités humaines, les villes peuvent participer directement à la pré- servation de la biodiversité par la restauration ou l’aménagement d’espaces de nature. Mais au-delà, la préservation de la biodiversité en ville doit être définie en relation avec cette déconnexion des citadins, et donc ce besoin de ré-expérimenter la nature. Dans le cadre de la reconnexion, la biodiversité urbaine peut ainsi être utilisée pour augmenter la conscience écologique des citadins. Des méthodes innovantes doivent être inventées depuis l’éducation relative à l’environnement jusqu’aux sciences participatives, aux jardins partagés, l’expression artistique, ou autres.
 
 

Pour conclure

La mise en réserve, la restauration, la réconciliation et la reconnexion représentent un continuum de relations croisées entre les hommes et la nature. Chaque contexte géographique peut intégrer ces quatre cadres de pensée; cependant, certains contextes sont plus ou moins adaptés à certains cadres : la mise en réserve sera plus efficace dans les espaces protégés (qui couvrent environ 11% de la surface terrestre), et la restauration est plus appropriée dans les contextes où l’on veut limiter les impacts des activités humaines sur la biodiversité. La réconciliation est opérante dans les espaces où une biodiversité fonctionnelle coexiste avec des activités humaines. Quant à la reconnexion, elle a un intérêt majeur dans les espaces habités par un très grand nombre de personnes et dans les espaces où le lien homme-nature est le plus effacé, c’est-à-dire les villes.

Intégrer une flexibilité entre ces cadres de pensée et selon les contextes pourrait permettre aux scientifiques, experts et décideurs de mieux intégrer la préservation de la biodiversité aux divers contextes de pressions humaines existants (Prévot-Julliard et al., 2011). Les mesures de conservation pourraient alors être pensées et construites au cas par cas, en fonction d’objectifs bien définis, si possible en concertation entre les acteurs concernés. Ce référentiel des « 4R » pourrait devenir un cadre de réflexion utile dans ce contexte.

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Bibliographie

Devictor, V. Mouillot, D. Meynard, C. Jiguet, F. Thuiller, W. & Mouquet, N. 2010. Spatial mismatch and congruence between taxonomic, phylogenetic and functional diversity: the need for integrative conservation strategies in a changing world. Ecology Letters 13: 1030-1040.

Miller, J. R. 2005. Biodiversity conservation and the extinction of experience. Trends in Ecology & Evolution 20: 430-434.

Miller, J. 2007. Habitat restoration – do we know what we are doing? Restoration Ecology 15: 382-390

Prévot-Julliard A.C., Clavel J. Teillac-Deschamp P et Julliard R., 2011. The need for flexibility in conservation practices: exotic species as an example. Environmental Management 47 : 315-321.

Rosenzweig, M. L. 2001. Loss of speciation rate will impoverish future biodiversity. P.N.A.S. 98 : 5404-5410.

Turner, W. R., Nakamura, T. & Dinetti, M. 2004. Global urbanization and the separation of humans from nature. Bioscience, 54, 585-590.

Pour en savoir plus (en français)

Couvet D. et Teyssèdre A., 2010. Ecologie et biodiversité, Paris, Belin.

Prévot-Julliard A.C., Maris V., Alain, K., Aumeeruddy-Thomas Y., Devictor V., Langlais A., Not F., Puijalon S.,Pujol B. (eds), 2010. Biodiversités, un nouveau regard sur le vivant. Editions du Cherche-Midi.

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Article édité et mis en ligne par Anne Teyssèdre

 

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