La Société Française d’Ecologie (SFE) vous propose le regard 67 sur l’histoire et les perspectives de modélisation des paysages.

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Et si les paysages parlaient ?
Vers une grammaire et une théorie des dynamiques de paysage

Par Cédric Gaucherel(1) et Vincent Bonhomme(2)

1 : UMR AMAP – INRA, Montpellier, (France)
2 : Institut des Sciences de l’Evolution-Montpellier (ISEM-UMR 5554), Equipe Dynamique de la Biodiversité, Anthropo-écologie. Université de Montpellier, CC65. Place Eugène Bataillon, 34095 Montpellier Cedex 2, (France)

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Mots clés : paysage; modélisation; grammaires formelles

Ce matin là, la brume s’élève sur les piémonts du Morvan. Au loin, des maisons endormies et des fermes noyées au milieu des champs agricoles et des placettes forestières. Des chemins étroits zèbrent le panorama, enjambent les rivières et longent les haies (Fig. 1). Ce paysage, qui semble figé pour le promeneur, est pourtant continuellement modelé par les éléments et ses habitants, l’homme y compris. Comment décrire et étudier ce paysage ? Plus généralement, quels mécanismes modifient les paysages ? Peut-on décrypter leurs histoires et prédire leurs futurs ?

Photographie des piémonts du Morvan, vus depuis le village d’Uchon.

Figure 1 : Photographie des piémonts du Morvan, vus depuis le village d’Uchon.

Comme son nom l’indique, l’écologie du paysage s’intéresse au paysage, un objet complexe, composite et dynamique qui est le support de la plupart des processus étudiés en écologie. Par sa composition, par sa structure, il contraint en effet les déplacements des animaux, les répartitions des plantes, les flux et la disponibilité des éléments chimiques. Nous allons voir comment cette discipline a proposé d’analyser, de modéliser puis de comprendre cet objet.

L’écologie du paysage : de la description aux modèles

L’écologie du paysage émerge à la fin des années 1980, de part et d’autre de l’Atlantique. Les écoles américaine et européenne se sont d’abord attachées à la description de différents paysages, notamment en zone rurale, agricole et forestière (Forman et Godron 1986). Un paysage peut être représenté comme une mosaïque d’éléments, aussi appelées « unités », de natures très différentes, en interactions étroites et continuelles à plusieurs échelles spatiales et temporelles. Pour décrire sa composition et sa structure, on peut considérer à la fois les surfaces respectives de ses éléments mais aussi leur agencement dans l’espace. Par exemple, à surfaces égales de forêt et de champs, vaut-il mieux deux grandes surfaces ou un damier de petites ? La solution préférée par l’agriculteur ou le forestier a-t-elle le même effet pour le rapace ou le rongeur ? Cette hétérogénéité du paysage est un déterminant essentiel des répartitions spatiales, notamment des populations animales et végétales, qui le peuplent et les interactions qui se créent à l’interface entre milieux.

Dans les années 1990, cette hétérogénéité a été déclinée en « fragmentation » du paysage, c’est à dire les divisions successives des habitats, et en « connectivité » du paysage, c’est à dire les liens spatiaux qui unissent les habitats de même nature. Ces apports de l’écologie du paysage dans les domaines de la biologie comportementale, de la génétique des populations, et de l’étude des écosystèmes passés ont permis de grandes et réciproques avancées conceptuelles.

Cependant, la plupart des cas d’études théoriques ou pratiques décrivaient le paysage comme un objet statique. Or, le paysage est un objet dynamique dont il nous faut modéliser les mécanismes si l’on veut mieux comprendre son fonctionnement, plutôt que sa seule structure à un instant donné. Selon le but recherché, par exemple la conservation d’une espèce herbivore, les impacts positifs et négatifs de la structure même du paysage, comme la fragmentation de l’habitat affectionné en différentes parcelles et la façon dont elles sont connectées, peuvent être analysés, modélisés et manipulés, voire ensuite être testés in natura.

Dans un paysage agricole, le regard embrasse une grande diversité d’occupations du sol : forêts, prés, cultures, jachères, cours d’eau, bâtiments agricoles, etc. Cet arrangement particulier, métaphoriquement baptisé « mosaïque », est souvent caractéristique d’un fonctionnement agricole. Les mosaïques paysagères sont traditionnellement représentées par une carte où chaque couleur symbolise une occupation du sol. D’un coup d’œil avisé sur une carte, on peut distinguer un bocage normand des plaines agricoles languedociennes, une vallée des Pyrénées de celles des Cévennes. Chaque paysage a donc une « signature » qui résulte des déterminants de l’évolution (changements) des paysages, c’est à dire l’interaction entre les contraintes géologiques, hydriques, climatiques, d’une part, et les abondances des populations d’organismes et les activités humaines d’autre part.

Imaginons dans notre paysage du Morvan l’installation d’une ferme en bordure de forêt (Fig. 1). De nouvelles routes seront créées pour la desservir ainsi des chemins pour accéder aux champs. Peut-être faudra-t-il récupérer ces surfaces sur l’emplacement actuel de la forêt. D’autres bâtiments seront sans doute nécessaires pour stocker le fourrage et les engins. Enfin, l’exploitant(e) va sans doute opérer une rotation des cultures et ménager des jachères.

En égrenant ces besoins, nous avons décrit sa structure spatiale, l’agencement de chaque zone, puis nous avons considéré quelques règles de changement simples. En d’autres termes, nous modélisons déjà mentalement ce paysage et son évolution. Reste à traduire cette représentation à un ordinateur en termes plus opérationnels et rigoureux et à presser la touche « lecture ». Nous allons voir que modéliser un paysage peut se faire avec deux grandes approches : soit en le transformant en une grille régulière de points, soit en s’accommodant de la géométrie des parcelles et autres éléments du paysage.

Modéliser un paysage comme une grille de pixels

Les premiers modèles de paysages ruraux représentent des grilles de pixels, c’est le « mode raster », dont chacun possède un ou plusieurs attributs, et que l’on peut visualiser en traduisant par exemple un type d’occupation du sol en une couleur de pixel : l’eau en bleu, le maïs en jaune, etc. (Fig. 2) Ces attributs peuvent également changer d’état selon des règles, en première approche des probabilités de transition en fonction du voisinage et de l’état de chaque pixel, présumées refléter les dynamiques du paysage (Costanza et Voinov 2004). C’est l’association du support du paysage, la grille de pixels, et des règles de transition qui constitue les modèles « raster » du paysage. Le jeu de la vie de Conway est probablement l’automate cellulaire le plus célèbre (Gardner 1970). Un automate cellulaire, comme un paysage rastérisé est constitué d’une grille de pixels et de règles d’évolution, souvent liées au voisinage des pixels. Le jeu de la vie de Conway, quoique défini par quelques règles simples de voisinage entre pixels, permet la création, la réplication et la propagation de motifs complexes. Ces modèles en grille combinent plusieurs avantages : ils sont plutôt faciles à manipuler, ils peuvent a priori représenter tous les types de paysage en les découpant finement, et ils créent un pont naturel avec la télédétection qui nous permet d’observer les paysages en images elles aussi formées de grilles de pixels. On parvient avec ces modèles à reproduire des dynamiques de paysage, simples comme plus complexes (Favier et al. 2004).

Figure 2 : Exemple de paysage raster (à gauche) et vectoriel (à droite). Ce paysage est un village agroforestier, Kotolli, dans le sud de l’Inde (Gaucherel et al. 2016). Le paysage raster est le résultat de l’observation du village en 2011, tandis que le paysage vectoriel est le résultat en 2010 d’une simulation avec la plateforme de modélisation DYPAL.

Figure 2 : Exemple de paysage raster (à gauche) et vectoriel (à droite). Ce paysage est un village agroforestier, Kotolli, dans le sud de l’Inde (Gaucherel et al. 2016). Le paysage raster est le résultat de l’observation du village en 2011, tandis que le paysage vectoriel est le résultat en 2010 d’une simulation avec la plateforme de modélisation DYPAL.

Comment exploite-t-on ces modèles ? D’abord, on formule des hypothèses de travail sur le fonctionnement du paysage. On transforme ensuite ces hypothèses en un ensemble de probabilités afin que les pixels du paysage initial changent d’une occupation du sol en une autre à chaque pas de temps, et ce pour l’ensemble des transitions que l’on veut rendre possibles. On simule ensuite la dynamique supposée du paysage, sur un nombre de pas de temps correspondant à la temporalité des mécanismes d’intérêt, c’est à dire avec un nombre adéquat d’itérations des règles de transition. Enfin, on compare le paysage simulé final à celui observé, par exemple par télédétection. Si les deux paysages correspondent statistiquement, c’est à dire si l’utilité du modèle est validée, on conclut que l’on commence à comprendre le fonctionnement du paysage observé ou plutôt à reproduire sa dynamique. Car attention à ne pas conclure trop vite : d’autres modélisations basées sur des mécanismes complètement différents pourraient simuler la même évolution.

Modéliser le paysage par ses constituants

Au cours des années 2000, quelques auteurs ont progressivement réalisé les limites de la modélisation en mode raster, en dépit de sa commodité d’emploi (Gaucherel et al. 2006a, Gaucherel et al. 2006b) : elle ne manipule pas les éléments constitutifs du paysage (les champs, les haies, les bâtiments, etc.), mais une sous-unité, le pixel, qui n’a pas de réalité écologique ou agronomique, et qui est faussement supposée autonome. Notre paysan(ne) du Morvan ne décide pas de mettre en jachère un ou plusieurs quadras de dix mètres de côté, mais une parcelle entière, une « unité » (patch) de culture. L’alternative consiste à manipuler directement les éléments paysagers en interaction. Un tel champ passe du blé à l’orge, d’une année à l’autre ; une telle haie, à côté de ce champ, est élaguée ou arasée; une telle forêt colonise la prairie voisine à l’ouest, etc. Pour traduire ces comportements, il nous faut modéliser le paysage en mode vectoriel (Gaucherel et al. 2012), c’est à dire en s’appuyant sur les coordonnées spatiales des éléments paysagers, représentés par des polygones (pour décrire par exemple les champs), des polylignes (les routes, les rivières, etc.), ou des points (les bâtiments, les arbres, etc.).

Manipuler un paysage vectoriel simplifie sa modélisation, puisque l’on change en une opération unique l’attribut d’un polygone (sa couleur, son occupation du sol) pour simuler sa dynamique, là où un modèle raster doit manipuler un grand nombre de pixels et les solidariser au préalable (Fig. 2). Le prix à payer de cette simplification, est qu’un polygone qui change de géométrie, c’est à dire ses limites, est plus délicat à manipuler qu’un ou plusieurs pixels. Au sein d’un paysage, deux champs réunis, une forêt divisée par un exploitant ou colonisant la prairie voisine, correspondent à des opérations géométriques parfois compliquées (Table 1). On nomme ces modifications de géométrie des changements de configuration, par opposition aux changements de composition du paysage, qui n’affectent que les attributs des paysages.

Liste et illustrations des transformations possibles d’un paysage vectoriel et de ses éléments. (Voir aussi Table 1.)

Figure 3 : Liste et illustrations des transformations possibles d’un paysage vectoriel et de ses éléments. (Voir aussi Table 1.)

Après un examen attentif, on observe que huit opérations paysagères suffisent (Gaucherel et al. 2012) : la division et la réunion, la dilatation et l’érosion, l’apparition et la disparition, le changement d’attribut et l’absence de tout changement (Fig. 3). Au-delà de la difficulté de modélisation apparue, on gagne en généricité puisque ces seules huit opérations permettent de rendre compte de n’importe quelle dynamique de paysage vectoriel, qu’il soit agricole ou non. Elles permettent même de modéliser des « polylignes », donc des réseaux linéaires tels que les routes, les bocages, les fossés, les digues ou les rivières. Ainsi, sur les piémonts du Morvan, les marcheurs attentifs ont vu se dessiner, années après années, de nouveaux chemins, de nouvelles routes, a vu se stabiliser le passage de la rivière, et voit régulièrement s’installer de nouvelles haies.

Opérations paysagères génériques

Exemples sur des paysages agricoles, forestiers, semi-arides ou périurbains

Union d’unités paysagères

  • Réunion de deux parcelles pour en gérer une unique, plus grande

  • Revégétalisation d’une voie entre deux placettes forestières

Division d’une unité

  • Séparation d’une grande parcelle en deux plus petites

  • Arrêt de l’irrigation d’un versant agricole semi-aride qui divise l’unité initiale

Dilatation d’une unité

  • Avancée du désert sur une parcelle de prairie

  • Colonisation d’un îlot de forêt sur la savane qui le jouxte

Erosion d’une unité

  • Recul d’un glacier sur une zone nue

  • Recul d’une clairière enclavée au sein d’une forêt

Apparition d’une unité

  • Urbanisation d’une banlieue champêtre

  • Apparition d’un îlot forestier au sein d’une prairie

Disparition d’une unité

  • Assèchement d’un étang et agrandissement des parcelles voisines

  • Disparition d’une dune de sable

Changement de composition d’une unité

  • Rotation de culture dans une parcelle agricole

  • Changement d’utilisation cadastrale

Pas de changement

  • Sanctuarisation d’une parcelle

  • Maintien d’une jachère

Table 1 : Exemples de processus variés, associés aux opérations du langage du paysage qui permettent de les modéliser. Ces opérations aident également à conceptualiser ces processus (en changements de composition et configuration) de façon plus génériques.

Cette généricité des dynamiques a l’avantage d’éclairer une autre des facettes de l’objet complexe qu’est le paysage. Les changements paysagers observables et modélisables ne sont que le résultat d’interactions cachées plus complexes (Table 1), en particulier à des niveaux d’organisation autres que ceux des éléments paysagers. Par exemple, les agronomes savent depuis longtemps que les dynamiques des parcelles cultivées dépendent de la gestion des exploitations agricoles. Une exploitation est un élément paysager invisible, d’un niveau d’organisation plus large que les parcelles ou les haies, mais dont l’influence sur le niveau plus fin est évidente. De même, un changement de Politique Agricole Commune décidé à Bruxelles, à un niveau d’organisation spatial et temporel plus large encore que ceux des exploitants et des parcelles agricoles, sur lesquelles il aura pourtant des conséquences directes.

Pour autant, faut-il modéliser l’exploitant agricole lui-même, dans toute sa complexité, pour comprendre le paysage ? Tout dépend des objectifs que l’on donne au modèle, mais au final, ce sont bien les conséquences de ses décisions sur la mosaïque paysagère qui sont l’objet de notre modélisation. Par exemple, dans le cas d’une gestion forestière, il suffit en général de simuler en détail les rotations agricoles et les successions culturales, les coupes et autres interventions forestières sur les placettes boisées. Par chance, voire pour de bonnes raisons, l’exploitation agricole ou toute autre limite de propriété peut également être représentée par un polygone ou un ensemble de polygones. C’est un atout indéniable que les autres niveaux d’organisation du paysage soient eux aussi manipulables à l’aide des (huit) mêmes opérations génériques du modèle vectoriel de paysage. Ces quelques règles donnent une cohérence à cet objet multiéchelle difficile à étudier et à comprendre.

Vers un langage du paysage

Cette approche des dynamiques des paysages vectoriels est générique et parcimonieuse mais ne serait pas complète si elle n’était pas associée à un formalisme mathématique. En d’autres termes, on peut mettre en équations les opérations génériques du paysage que nous venons de décrire (Gaucherel et al. 2012). Cette étape importante contribue notamment à une compréhension rigoureuse et des comparaisons plus objectives des dynamiques complexes de l’objet paysage. Cette formalisation, que nous allons présenter, apporte en outre des vertus simplificatrices car il traduit les mécanismes impliqués à l’aide de concepts simples et met en exergue les liens fonctionnels entre les éléments paysagers.

Pour comprendre quel formalisme peut être élaboré, il faut se rappeler certaines des propriétés d’un paysage : c’est un objet spatial, par nature discontinu et fait d’éléments très différents. Ces éléments interagissent de multiples façons, dans le temps et dans l’espace, par des influences de voisinage plus ou moins direct. Enfin, les dynamiques paysagères sont non-stationnaires, c’est à dire que l’état du paysage peut changer brutalement et ne dépend souvent pas, ou pas uniquement, de son état au pas de temps précédent. À tout moment, notre exploitant(e) peut décider de rompre avec la dynamique qui prévalait, pour suivre une nouvelle politique agricole, modifier la gestion de son stock de bois, débuter une nouvelle culture, etc.

De tels objets en changement peuvent être modélisés par une grammaire formelle, une famille de formalismes mathématiques qui a notamment fait ses preuves en linguistique (Chomsky 1963), en informatique théorique et en modélisation de la croissance des plantes (Prusinkiewicz et Lindenmayer 1990). En général, les grammaires se révèlent performantes là où les natures diversifiées et discontinues des objets d’études les rendent difficiles à manipuler avec les outils mathématiques classiques, par exemple les équations différentielles. Les grammaires formelles définissent les façons valides d’assembler, en une syntaxe plus ou moins complexe, des éléments d’un vocabulaire, d’un ensemble d’éléments constitutifs du système. Ainsi, pour tout paysage, les parcelles-mots changent au cours du temps en respectant des règles définies par le modèle, dont nos huit opérations paysagères forment l’ossature. Leurs applications à des « mots paysagers » que sont les unités du paysage s’apparentent à la construction d’une grammaire formelle (Fig. 3).

Si l’on poursuit l’analogie, une grammaire du paysage permet, un peu comme lors de la construction d’une phrase, de capturer les effets de voisinage locaux (les relations entre mots) et les dépendances temporelles (entre les temps des verbes par exemple). L’informatique théorique a démontré plusieurs résultats intéressants pour cette vision du paysage. Premièrement, disposer d’une grammaire pour formaliser les dynamiques d’un paysage permet de savoir à tout moment si un état du paysage peut exister, c’est à dire si ce dernier respecte a priori la grammaire définie pour décrire son fonctionnement. Deuxièmement, pour certaines grammaires, on peut théoriquement retrouver à partir de ce que l’on nomme une « analyse syntaxique », les étapes qui mènent à l’état du paysage observé. Cette démarche s’apparente à la paire dictionnaire-grammaire qui aiderait à déterminer si une phrase est lexicalement et grammaticalement correcte. Ainsi, on pourra peut-être un jour déduire les dynamiques d’un paysage de la seule analyse de sa grammaire, sans avoir besoin de le simuler.

L’utilisation du langage du paysage a déjà prouvé ses qualités dans des applications concrètes de paysages ruraux (Gaucherel et al. 2006b, Gaucherel et al. 2012). Une plate-forme de modélisation du paysage d’un nouveau genre, qui se présente sous la forme du logiciel libre DYPAL (pour DYnamic PAtchy Landscapes), offre la possibilité à la communauté des écologues. Plusieurs autres paysages, tempérés comme tropicaux (Houet et al. 2014, Gaucherel et al. 2016, Bonhomme et al. soumis), et leurs dynamiques variées ont pu ainsi bénéficier des concepts linguistiques associés à cette formalisation.

Perspectives

Nous faisons aujourd’hui face à de nouvelles limites dans la modélisation du paysage, qui peuvent nous éclairent sur son fonctionnement. Comme dans une phrase, les grammaires du paysage font l’hypothèse d’influences locales entre éléments paysagers. Les paysages ne montrent-ils donc aucun comportement plus global ? Ces questions sont encore très peu explorées. Par exemple, certains paysages, au moins ceux fortement anthropisés, ont parfois des distributions d’occupations du sol optimisées en fonction d’un but (Gaucherel 2011, Houet et al. 2014) : le versant forestier exploité sur la gauche de notre paysage Morvandiau peut par exemple viser à maximiser la production de bois d’œuvre, elle-même dépendante du marché du bois. Plusieurs niveaux d’organisation sont en effet emboîtés dans les modèles paysagers, mais notre vaste mosaïque forestière est, on le sait, globalement optimisée d’une façon que le langage du paysage présenté ne peut pas, par construction et à ce jour, formaliser.

Si les grammaires de paysage permettent donc un important pas en avant pour comprendre comment fonctionne l’objet complexe qu’est le paysage, elles ne rendent théoriquement compte que de changements locaux. Plusieurs questions centrales restent en suspens. Quels paysages montrent une dynamique optimale pour un certain but ? Sont-ils à l’équilibre ? Quelles différences entre un paysage que l’on embrasse du regard du sommet d’une montagne bourguignonne ou de collines provençales ? Peut-on considérer une flaque d’eau, avec ses hétérogénéités de profondeur et/ou de turbidité, voire un continent avec ses chaînes de montagne et ses différents types d’écosystèmes, comme de « vrais paysages » ? Plus urgent encore : quel avenir pour les paysages que nous façonnons aujourd’hui ? Ces questions appellent une solide théorie synthétique du paysage, qui n’en est qu’à ses débuts ; elle pourrait bénéficier à l’ensemble des disciplines écologiques autant qu’aux gestionnaires de nos espaces.

Il semble important de mieux circonscrire le domaine d’application des modèles de paysage, voire de mettre au point de nouveaux modèles, plus appropriés à leur propre compréhension. Ce n’est qu’à cette condition que l’on comprendra vraiment ce que sont les paysages, leurs invariants comme leurs spécificités.

 


Références :

Bonhomme, V., Castets, M., Ibanez, T., Géraux H., Hély, C. et Gaucherel, C. Configurational changes of patchy landscape dynamics: a case study in a tropical biodiversity hotspot. Soumis.

Chomsky, N. 1963. Formal Properties of Grammars. John Wiley.

Costanza, R. et A. Voinov. 2004. Landscape simulation modeling. A spatially explicit, dynamic approach. Springer-Verlag, Inc., New York.

Favier, C., J. Chave, A. Fabing, D. Schwartz et M. A. Dubois. 2004. Modelling forest-savanna mosaic dynamics in man-influenced environments: effects of fire, climate and soil heterogeneity. Ecological Modelling 171:85-102.

Forman, R. T. T. et M. Godron. 1986. Landscape ecology. John Wiley and Sons, New York.

Gardner, M. 1970. The fantastic combinations of John Conway’s new solitaire game « life ». Scientific American 223 120-123.

Gaucherel, C. 2011. Self-organization of patchy landscapes: hidden optimization of ecological processes. Journal of Ecosystem & Ecography 1:doi: 10.4172/2157-7625.1000105.

Gaucherel, C., J. Alet et C. Garcia. 2016. Coffee monoculture trend in tropical agroforested landscapes of Western Ghats (India). Environmental Conservation Sous presse.

Gaucherel, C., F. Boudon, T. Houet, M. Castetset C. Godin. 2012. Understanding Patchy Landscape Dynamics: Towards a Landscape Language. PLoS One 7:e46064.

Gaucherel, C., D. Fleury, A. Auclairet P. Dreyfus. 2006a. Neutral models for patchy landscapes. Ecological Modelling 197:159-170.

Gaucherel, C., N. Giboire, V. Viaud, T. Houet, J. Baudryet F. Burel. 2006b. A domain specific language for patchy landscape modelling: the brittany agricultural mosaic as a case study. Ecological Modelling 194:233-243.

Houet, T., N. Schaller, M. Castetset C. Gaucherel. 2014. Improving the simulation of fine-resolution landscape changes by coupling top-down and bottom-up land use and cover change rules. International Journal of Geographical Information Science 28:1848-1876.

Prusinkiewicz, P. and A. Lindenmayer. 1990. The Algorithmic Beauty of Plants. Springer-Verlag, New-York, USA.

 

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Edition : J.-D. Lebreton