La Société Française d’Ecologie et d’Evolution (SFE2) vous propose ce Regard R98 de Romain Sordello, expert en écologie dans l’Unité Mixte de Service PatriNat, sur la pollution lumineuse liée aux progrès techniques des éclairages nocturnes.

Une version légèrement différente de cet article paraîtra prochainement dans la revue Le Courrier de la Nature, édité par la SNPN (https://www.snpn.com/lecourrierdelanature/)

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Démocratisation de l’éclairage nocturne :
attention aux effets rebonds sur la biodiversité !

Précautions à l’attention des particuliers

Romain Sordello

Expert pollution lumineuse à l’UMS PatriNat (OFB-MNHN-CNRS)
Regard R98, édité par Anne Teyssèdre

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Mots clés : Pollution lumineuse, éclairage nocturne, citoyens, consommation,
règlementation, effets rebonds, trame noire
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Résumé / Introduction

La pollution lumineuse, générée par l’éclairage artificiel nocturne, pose de nombreux problèmes, notamment sur la faune, la flore et les écosystèmes. La littérature scientifique étant désormais très abondante sur ce sujet, le temps est venu de passer à l’action pour mettre en place des pratiques plus vertueuses. Dans cette démarche, il ne s’agit pas seulement de réduire l’éclairage public ou celui des commerces ; il est nécessaire aussi d’informer et responsabiliser les particuliers. En effet, ces derniers sont eux aussi susceptibles de générer une pollution lumineuse via leurs propres éclairages (jardin, abord de maison, entrée de garage, …). Mieux, la règlementation française sur les nuisances lumineuses s’applique également à ces éclairages, ce que beaucoup de personnes ignorent. Alors que de nombreux acteurs socio-économiques ont pris conscience de leur impact sur la biodiversité la nuit, telles les communes qui mènent des actions de plus en plus poussées sur l’éclairage public (lumières ambrées, extinction en cœur de nuit, sources lumineuses dirigées vers le bas, etc.), il est important de sensibiliser les citoyens au rôle qu’ils peuvent jouer dans cette lutte globale contre la pollution lumineuse. Cet article tente ainsi de faire le point sur les éclairages de particuliers : quels sont ces éclairages, comment bien les gérer et quelles règles respecter ?

Les particuliers : des acteurs locaux contribuant à un problème global ?

La pollution lumineuse : un phénomène planétaire croissant

Depuis quelques décennies, l’éclairage artificiel nocturne s’est considérablement déployé et continue d’augmenter. Si cette situation soulève des questions de consommations d’énergie, elle engendre aussi un problème pour les écosystèmes. En effet, un temps journalier d’obscurité est essentiel pour la faune comme pour la flore. De nombreuses espèces animales sont actives la nuit ou au crépuscule et ces animaux nocturnes sont parfaitement adaptés à l’obscurité. L’introduction de lumière artificielle constitue alors une pollution lumineuse qui se traduit par de multiples dégâts (voir par exemple trois revues et méta-analyses parues en 2020 : Falcon et al. 2020, Sanders et al. 2020, Svechkina et al. 2020). Un phénomène d’attraction ou de répulsion, selon les espèces, engendre de la mortalité massive pour les unes (nombreux insectes et oiseaux par exemple) et une réduction des habitats naturels pour les autres (chauves-souris ou amphibiens par exemple), ce qui conduit dans tous les cas à une fragmentation des populations.

Il s’ensuit également des déséquilibres dans les relations entre espèces, par exemple entre proies et prédateurs ou aussi entre plantes et pollinisateurs (en grande partie des insectes nocturnes). Les cycles biologiques sont également perturbés (ex : retard dans la tombée des feuilles des arbres, dérèglements physiologiques chez la faune diurne comme nocturne). Au final, la pollution lumineuse remet en cause l’alternance jour/nuit (et en régions tempérées, les variations de durée jour/nuit entre été et hiver), des cycles qui rythment la vie depuis des milliards d’années sur Terre.

Fig.1 : Eclairage des voies de déplacement dans une copropriété. S’agissant de boules, ces luminaires émettent plus de 50% de lumière au-dessus de l’horizontale [ce qui est contraire à la nouvelle règlementation sur les éclairages privés, voir le texte. Ils devront donc être remplacés au plus tard au 1er janvier 2025, selon l’article 8 de l’arrêté ministériel du 27/12/2018].
Cliché Samuel Busson

Les citoyens ont-ils un rôle à jouer ?

Ces dernières années, la prise de conscience des problèmes posés par l’éclairage nocturne est montée en puissance dans la société. Un grand nombre d’acteurs mettent en place des mesures pour diminuer cette pollution (par exemple, des milliers de communes en France coupent l’éclairage public en cœur de nuit). L’engouement pour ce sujet est flagrant, comme en témoigne son traitement de plus en plus fréquent dans les médias grands publics (presse, télé, etc.). Néanmoins, les particuliers sont bien souvent oubliés dans ces démarches de sensibilisation parmi les acteurs qui peuvent eux-aussi agir sur cette pollution. Plus précisément, les particuliers sont généralement vus comme un public « levier » pour interpeler leurs commerçants (au sujet des enseignes ou des vitrines éclairées) ou leur Maire (à propos de l’éclairage public).

Certes, si les citoyens demandent moins éclairage nocturne, les acteurs qui en ont le pouvoir (communes, aménageurs, commerces, etc.) changeront leurs pratiques. Mais cette vision masque un point important : de très nombreux particuliers possèdent du terrain, un jardin ou même une terrasse, à la campagne comme en ville, et ils sont donc susceptibles d’éclairer cet espace extérieur privé. La plupart des particuliers peuvent ainsi agir directement dans la lutte contre la pollution lumineuse, à leur niveau, à travers leurs propres choix en matière d’éclairage…ou de maintien de l’obscurité dans leur espace privatif extérieur.

Les éclairages de particuliers : une part anecdotique ?

De prime abord, nous pourrions penser que la part des éclairages extérieurs détenus par des particuliers – et donc la responsabilité de ces derniers dans la pollution lumineuse – est marginale, en comparaison par exemple de l’éclairage public autrement plus visible, fort et répandu. Factuellement, il n’existe pas d’estimation permettant de quantifier cette part.

Fig.2 : Vues d’une LED en entrée de garage d’une maison individuelle. Clichés Romains Sordello

Néanmoins, selon l’INSEE (2018), 68,4% des français vivaient en 2016 dans une maison individuelle – ce qui est bien supérieur à la moyenne européenne de 57,2% -, maison qui possède généralement un espace privé extérieur. Ainsi, le nombre de spots lumineux utilisés la nuit en France par des particuliers est potentiellement très élevé.

En outre, rappelons que des éclairages peu puissants engendrent déjà des dégâts sur la biodiversité. En 2018, une étude a montré que de simples veilleuses solaires (flux lumineux incident de l’ordre de 1 lux, ou 1 lumen/m²), que beaucoup de particuliers disposent justement dans leur jardin, constituent des pièges pour certains insectes (Eccard et al. 2018).

Enfin, les possibilités d’installer de l’éclairage privatif ne font qu’augmenter. En effet, aujourd’hui, de nouvelles sources lumineuses – les LED (qui sont des composants électroniques) – peuvent être achetées très facilement par tout un chacun sur internet ou dans son magasin de bricolage. Ces éclairages bon marché sont souvent présentés comme « écolos » car ils fonctionnent à l’énergie solaire, tout en étant de plus en plus puissants. Il est devenu très simple d’avoir de l’éclairage dans son jardin ou sur son balcon sans augmenter pour autant sa facture d’électricité.

Or si cette « démocratisation de l’éclairage » représente un progrès pour « l’accès à la lumière pour tous », elle se traduit aussi inévitablement par une augmentation du nombre de points lumineux dans l’environnement et donc par davantage de pollution lumineuse. Ce phénomène, qui illustre les « effets rebonds » des progrès techniques sur la consommation globale et sur l’environnement (voir par ex. Alcott 2005 ; Teyssèdre 2008), est déjà constaté en éclairage public (Kyba et al. 2017).

Dans ce contexte, il est donc important de responsabiliser les particuliers vis-à-vis de la pollution lumineuse en rappelant quelques principes pour préserver la biodiversité.

 

Comment gérer ses éclairages nocturnes pour en limiter les impacts sur la biodiversité ?

Première règle à respecter : viser la sobriété de l’éclairage plutôt que la sobriété énergétique

En premier lieu, comme pour tout autre type d’acteurs socio-économiques (et écologiques), il convient de viser une sobriété de l’éclairage qui ne repose donc pas uniquement sur une sobriété énergétique. Les particuliers ne devraient pas déroger à cette règle que s’imposent désormais de nombreux acteurs publics. En effet, comme précisé plus haut, l’ajout de lumière artificielle dans l’environnement nocturne n’est jamais anodin pour la biodiversité, y compris à des quantités très faibles. Cela engendre des impacts environnementaux inévitables sur la faune et la flore (rappelons que l’activité de certains animaux est déjà inhibée lors des nuits de pleine Lune, voir par exemple Prugh & Golden 2014).

Par conséquent, la première règle est toujours de s’interroger sur la nécessité d’installer un éclairage. Or, le risque de céder à la facilité permise aujourd’hui par la technologie est grand.
En effet, dans de nombreux cas, l’installation d’un éclairage « classique » peut-être compliquée car cela nécessite des compétences d’électriciens ou cela coûte trop cher (ex : obligation de tirer un câble électrique, etc.). Ces contraintes forcent l’usager à limiter ses exigences de confort ou à chercher une alternative.

Par exemple, une simple lampe torche peut suffire pour des usages ponctuels (tels que sortir sa poubelle ou fermer son garage) tout comme des bougies d’ambiances pour un diner dans le jardin. Rappelons aussi que de nos jours la plupart des gens possèdent un smartphone, qu’ils ont généralement sur eux en permanence et qui intègre une lampe puissante pouvant faire l’affaire dans bien des situations (ouvrir sa porte en rentrant de nuit, fermer un portail, etc.).

Mais désormais, la technologie permet d’installer à peu de frais de l’éclairage à des endroits où l’obscurité aurait été maintenue sans ces « progrès techniques ». De plus, si ces nouvelles sources lumineuses fonctionnent à l’énergie solaire, elles entrainent malgré tout une consommation de matière et d’énergie (fabrication, transport, stockage, recyclage).

Par conséquent, il est plus que jamais de notre responsabilité de nous interroger sur la véritable nécessité de cet éclairage nocturne, pour ne pas tomber dans un acte automatique de consommation.

En cas d’éclairage, quelques précautions pour réduire les impacts :

Dans le cas où un éclairage extérieur est installé, quelques règles permettent de minimiser ses impacts (sans espérer les supprimer pour autant). Le choix des sources, leur organisation spatiale et leur planification temporelle sont essentielles, afin :

– d’adapter la puissance au besoin. La technologie permet là-aussi aujourd’hui d’installer des lampes LED qui, bien que fonctionnant à l’énergie solaire (captée pendant la journée), présentent des puissances importantes qui ne sont plus de l’ordre de la simple veilleuse. Il est donc impératif de bien regarder la puissance des lampes que l’on installe afin de ne pas suréclairer. En outre, comme évoqué plus haut, même les simples veilleuses solaires engendrent déjà des impacts sur certains insectes ;

– de privilégier les couleurs ambrées (jaunes/oranges) ou à défaut un blanc chaud (correspondant à ce que l’on appelle une « température de couleur » faible). En effet, une lumière blanche contient l’ensemble des couleurs (dans des proportions variables) ce qui augmente mécaniquement le nombre d’espèces impactées. Il est donc préférable d’émettre dans des spectres étroits (qu’une seule couleur). En outre, en l’état des connaissances, c’est la couleur jaune/orange qui semble avoir le moins d’impact sur la biodiversité la nuit contrairement à d’autres couleurs comme le bleu, le vert ou le rouge (Sordello 2017) ;

– de réduire autant que possible les risques d’éblouissement pour la faune (pas de lumière trop brillante). Ici les LED ont un désavantage car s’agissant de puces électroniques leur lumière est très concentrée. La faune nocturne possède des systèmes de vision adaptés à la pénombre, très sensibles à la lumière et donc rapidement saturés par les éclairages artificiels, ce qui peut engendrer des éblouissements temporaires voire des lésions irréversibles ;

– de ne pas renvoyer de lumière vers le ciel car cela participe à la formation de halo lumineux perturbant les animaux comme les oiseaux migrateurs ou les insectes qui utilise leur vision du ciel nocturne pour s’orienter ;

– d’éclairer strictement la surface utile. Par exemple, si l’objectif est d’éclairer un cheminement piéton dans son jardin, la lumière ne doit pas dépasser sur la végétation adjacente. Car un simple espace enherbé constitue un écosystème composé de flore (elle aussi sensible à l’éclairage artificiel nocturne) et hébergeant des cortèges d’animaux variés dont beaucoup sont nocturnes (petits mammifères, insectes, araignées, …) ;

– d’éclairer uniquement lorsqu’il y a nécessité. Ici, les LED apportent un plus car elles peuvent être couplées à des détecteurs pour se déclencher au passage d’un humain ou d’un véhicule et se couper ensuite automatiquement. En revanche, il est impératif que ces détecteurs soient suffisamment performants pour ne pas être activés au passage d’animaux (sauvages comme domestiques) ni avec le vent ou les mouvements de la végétation. Même si l’éclairage se coupe ensuite tout seul au bout de quelques secondes, ce type d’allumages/extinctions intempestifs au cours d’une nuit, peut potentiellement constituer une forte gêne pour la faune sauvage sensible au clignotement. Pensez également à couper totalement les lampes ou à enlever les veilleuses lorsque vous partez pour plusieurs jours.

Fig.3 : Les trois axes de gestion de l’éclairage nocturne. Schéma Romain Sordello

 

Que dit la règlementation concernant les éclairages extérieurs de particuliers ?

En France, l’éclairage extérieur est soumis à une règlementation qui se consolide depuis le Grenelle de l’environnement (2007). Notamment, un arrêté ministériel datant du 27/12/2018 fixe des prescriptions techniques pour toutes les nouvelles installations depuis le 1er janvier 2020, pour différentes catégories d’usage de l’éclairage. Les particuliers sont concernés par certaines de ces catégories.

Eclairages destinés à assurer la sécurité et le confort des biens ou des personnes (catégorie « a »)

Cette catégorie englobe tous les éclairages de cheminement ou de sécurité de types lampes murales devant la porte de maison ou le garage, éclairages des allées autour de la maison ou au sein du jardin, éclairages d’une cour intérieure privative, etc.
Pour cette catégorie, la règlementation fixe :
– à 3000 K la température de couleur maximale autorisée (correspondant à un blanc neutre à chaud),
– à 4 % maximum la part de lumière renvoyée au-dessus de l’horizontale (appelée ULR pour Upward Light Ratio) une fois l’éclairage installé,
– à 35 lumen/m² en agglomération, ou 25 lumen/m² hors agglomération, la quantité de lumière autorisée sur la surface que l’on cherche à éclairer (ratio que l’on appelle la « densité surfacique de flux » ou DSFLI). Ce seuil est à voir comme une « dotation de lumière » à ne pas dépasser ;
– à 95 % la proportion du flux lumineux inférieur (au dessous de l’horizontale) qui doit être concentrée dans un angle de 151° (ce que l’on appelle le « code flux CIE 3 »). Ce seuil est à considérer comme un moyen d’éclairer précisément ce que l’on souhaite éclairer sans débordement inutile autour de la cible.

Aussi, les luminaires émettant plus de 50% de lumière au-dessus de l’horizontale installés avant le 1er janvier 2020 devront être changés par des luminaires conformes à l’arrêté ministériel, au plus tard au 1er janvier 2025.

A noter que la note explicative du Ministère précise que « les dispositifs de balisage dont le flux lumineux unitaire est inférieur à 100 lumens » sont exclus de la règlementation mais l’arrêté ministériel lui-même ne mentionne pas cette exception.

Eclairages de mise en valeur d’éléments ou d’événements

Eclairages de mise en valeur des parcs et jardins (catégorie « b » )

La catégorie « b » de l’arrêté ministériel vise notamment les « parcs et jardins privés et publics accessibles au public ou appartenant à des entreprises, des bailleurs sociaux ou des copropriétés ». Les jardins privés collectifs, tels que les jardins de résidence ou accessibles à plusieurs logements, sont donc concernés :
– leurs éclairages doivent être allumés au plus tôt au moment du coucher du soleil et éteints à 1 h du matin au plus tard,
– la quantité de lumière émise (DSFLI) ne doit pas dépasser 25 lumens/m² en agglomération et 10 lumens/m² hors agglomération.
Les jardins privés individuels (tels que les jardins de pavillon), quant à eux, ne sont pas explicitement visés par l’arrêté ministériel. Les propriétaires souhaitant s’inscrire dans une démarche vertueuse vis-à-vis de la biodiversité peuvent alors appliquer volontairement les mesures évoquées plus haut. Attention, nous parlons ici des éclairages de mise en valeur des jardins ; un éclairage de cheminement dans un jardin privé sera considéré comme un éclairage de la catégorie « a » (sécurité des déplacements).

Eclairages de mise en valeur du cadre bâti (catégorie « b », suite)

La même catégorie « b » de l’arrêté ministériel concerne aussi « la mise en lumière du patrimoine, tel que défini à l’article L. 1 du code du patrimoine [et] du cadre bâti ». Si la partie « patrimoine » fait ainsi référence aux bâtiments non résidentiels publics (monuments, églises, mairies, musées, …), la notion de « cadre bâti » parait large et engloberait aussi le bâti privé, y compris des particuliers, bien que cela ne soit pas explicite. Cependant, les prescriptions détaillées ensuite par l’arrêté ministériel concernant la catégorie « b » ne font plus mention du cadre bâti, ce qui laisse supposer que celui-ci n’est pas concerné dans les faits. Une gestion vertueuse des éclairages des particuliers appartenant à cette catégorie relève donc pour le moment d’une démarche volontaire. Là encore, nous parlons uniquement de la mise en valeur du bâti ; une applique ou un spot posé sur un mur de maison destiné à éclairer le cheminement ou l’entrée d’un garage relève de la catégorie « a » (sécurité des déplacements).

Eclairages évènementiels (catégorie « f »)

Cette catégorie comprend les éclairages extérieurs, constitués « d’installations lumineuses temporaires utilisées à l’occasion d’une manifestation artistique, culturelle, commerciale, sportive ou de loisirs ». Le terme de « manifestation » est pris ici au sens large sans notion sous-jacente d’échelle ou de rassemblements. Ainsi, les éclairages de particuliers exposés temporairement sur la maison ou dans le jardin à l’occasion de Noël par exemple (guirlandes et autres) sont donc concernés par cette catégorie. Néanmoins, dans les faits, aucune réelle prescription n’est imposée par l’arrêté ministériel à cette catégorie « f » en dehors de certains sites particuliers (cf. plus bas).

Règles générales

Deux règles générales de l’arrêté ministériel s’appliquent à tous les éclairages inclus dans les précédentes catégories (« a » à « f »), qu’ils soient installés avant ou après le 1er janvier 2020 :
– les surfaces en eau ne doivent pas recevoir de lumière directe, afin de préserver les écosystèmes aquatiques très riches en biodiversité et extrêmement sensibles à la lumière artificielle nocturne (voir par exemple : Perkin et al. 2011). Cela concerne aussi bien les cours d’eau que les mares, bassins, étangs ainsi que le littoral (y compris la partie terrestre du front de mer),
– les installations d’éclairage ne doivent pas émettre de lumière intrusive « excessive » dans les logements quelle que soit la source de cette lumière (l’arrêté ne précise pas ce qui peut être considéré comme excessif).

Sites à valeur astronomique ou de biodiversité

Un autre arrêté ministériel du 27/12/2018 liste une dizaine de sites d’importance nationale d’un point de vue astronomique. Dans ces sites, la règlementation est plus stricte. En outre, des mesures plus strictes s’appliquent aussi dans certains zonages de protection pour la biodiversité (cœurs de parcs nationaux et réserves naturelles)

En réserves naturelles :
– pour l’éclairage de la catégorie « b » (en l’occurrence ceux des jardins privés collectifs comme évoqués plus haut), aucune lumière n’est permise au-dessus de l’horizontale (ULR = 0),
– la valeur de DSFLI (densité surfacique du flux lumineux incident) prévue hors agglomération s’applique aussi en agglomération pour les catégories « a » (soit 25 lumens/m²) et « b » (soit 10 lumens/m². Ce point concerne uniquement la mise en lumière des parcs et jardins car il n’y a pas de condition de DSFLI pour le cadre bâti,
– les températures de couleur ne doivent pas excéder 2400 K pour les éclairages des catégories « a », « b » et « f », que l’on soit en agglo ou hors agglo. Ici, l’arrêté ministériel ne mentionne pas d’exclusion du cadre bâti au sein de la catégorie « b » ce qui implique par défaut que celui-ci est bien concerné.
Dans les coeurs de parcs nationaux, les températures de couleur ne doivent pas excéder 2700 K hors agglomération et 2400 K en agglomération.

Rappelons que le Code de l’environnement prévoit des pénalités pouvant aller jusqu’à 750 € par point lumineux non conforme. S’agissant d’éclairage privé, ce pouvoir de police est la compétence du Maire.


Encart : Trois niveaux de gestion de l’éclairage extérieur, du plus néfaste au plus vertueux

L’illustration ci-dessous présente le cas d’un pavillon individuel avec jardin, situé hors agglomération. Nous pouvons y voir des éclairages appartenant à trois catégories d’usage :
– des éclairages destinés à assurer la sécurité des personnes et des biens (cheminements, entrée de garage, entrée de maison) [Catégorie « a »] ;
– des éclairages de mise en valeur du cadre bâti et du jardin (statue, façade de la maison, arbres) [Catégorie « b »] ;
– des éclairages évènementiels (éclairages temporaires liés à la période de Noël) [Catégorie « f »].
Cette illustration est déclinée en trois versions montrant comment les pratiques peuvent être modulées pour être plus ou moins nocives pour la biodiversité.

Fig4 : Trois niveaux de gestion de l’éclairage extérieur
Infographie Aleksandra Delcourt

Niveau 1 (en haut) : Eclairage très néfaste, non conforme à la règlementation
Direction : Les éclairages de la catégorie « a » sont mal dirigés, envoyant même pour certains une majorité de leur lumière vers le ciel*. Les lumières dirigées vers le bas ne sont pas non plus ciblées avec des cônes très larges*, elles dépassent largement des zones à éclairer (devant de porte, cheminement) et éclairent donc inutilement les milieux végétalisés, ainsi que le point d’eau* qui inclut lui-même un éclairage de mise en valeur. En ce qui concerne les éclairages de mise en valeur (catégorie « b »), la contre plongée est très néfaste. L’éclairage des arbres est également très impactant pour eux-mêmes et pour la faune qui les fréquente. La mise en valeur de la façade par un éclairage en contre-plongée engendre une lumière intrusive évidente*.
Puissance : Les puissances des lampes sont très fortes. Notamment, celles de la catégorie « a » engendrent plus de 25 lux par mètre carré de surface utile, provoquant ainsi un suréclairement non adapté à l’usage et impactant pour le vivant*.
Couleur : La température de couleur des éclairages de la catégorie « a » est supérieure à 3000 K (blanc froid)*. Les éclairages de mises en valeur utilisent des couleurs diverses ce qui augmente le risque d’impact sur la biodiversité du jardin.
Temporalité : Les éclairages sont maintenus allumés toute la nuit.

* = Non conforme à la règlementation (arrêté ministériel du 27/12/2018)

Niveau 2 (au milieu) : Eclairage raisonné, conforme à la réglementation
Direction : Les éclairages de la catégorie « a » sont désormais tous dirigés vers le bas et sont plus ciblés (le flux de l’hémisphère inférieur est concentré dans un angle de 151° maximum)*. Le ciel étoilé est désormais plus visible et les espaces végétalisés du jardin sont moins exposés à la lumière, pour le plus grand plaisir des invertébrés et petits mammifères nocturnes. En particulier, la mare ne reçoit plus de lumière directe* et depuis les grenouilles ont repris une activité normale. L’éclairage de mise en valeur de la façade a été retiré pour limiter la lumière intrusive excessive*, ce qui a également été propice aux chauves-souris qui fréquentent maintenant le nichoir. Les éclairages des arbres ont aussi été supprimés et, depuis, les feuilles tombent normalement à l’automne.Couleur : La température de couleur des éclairages de la catégorie « a » a été abaissée à 3000 K (blanc neutre à chaud)*, de même que celui de la statue.
Puissance : Les puissances ont été abaissées. Notamment, les cheminements ne reçoivent pas plus de 25 lux par mètre carré*.
Temporalité : L’éclairage de mise en valeur (statue) et les éclairages évènementiels (installés uniquement pour la période de Noel) sont éteints à 1h du matin. Les éclairages de cheminements sont branchés sur un interrupteur que les propriétaires allument et éteignent quand ils rentrent/sortent.

* = Demandé par la règlementation (arrêté ministériel du 27/12/2018)

Niveau 3 (en bas) : Gestion vertueuse de l’éclairage, réduisant les impacts sans perte de confort
Un point lumineux sur deux seulement a été conservé sur le cheminement, ce qui reste suffisant pour voir la nuit. Leur température de couleur a été abaissée à 1900 K, correspondant à une lumière ambrée dont on sait qu’elle est peu impactante pour le vivant. Les lampes sont équipées d’un détecteur de présence et de minuterie pour ne se déclencher qu’en cas de besoin. Elles sont également équipées de cellules photosensibles permettant de tenir compte de la luminosité déjà présente (Lune, nuage, etc.). Les propriétaires s’assurent que les détecteurs sont bien calibrés et ne se déclenchent pas intempestivement. L’éclairage de mise en valeur de la statue a été supprimé. L’ensemble des mesures de gestion maintiennent les usages indispensables aux propriétaires et ont amené à retrouver un environnement nocturne de qualité, avec une bonne visibilité du ciel étoilé et un épanouissement plus complet de la faune. Les chauves-souris sont plus nombreuses, des chouettes ont nidifié dans le jardin et des vers luisants fréquentent désormais la prairie.


Conclusion

Les citoyens ont un rôle évident à jouer en matière de lutte contre la pollution lumineuse. Ce rôle ne repose pas simplement sur des actions associatives ou des plaidoyers auprès des acteurs publics ou des commerçants, même si elles sont essentielles. Les particuliers ont aussi la possibilité d’agir sur leurs propres espaces extérieurs en décidant d’y maintenir l’obscurité ou d’y installer des éclairages ayant le moins d’impact possible. Ce rôle n’est pas à sous-estimer compte tenu de la « démocratisation de l’éclairage » à laquelle nous assistons via l’essor des nouvelles technologies.

La règlementation française concerne d’ores et déjà explicitement certains de ces éclairages détenus par des particuliers, notamment les éclairages de cheminements et de sécurité, les éclairages évènementiels et la mise en valeur des jardins privés collectifs. La mise en valeur du cadre bâti des particuliers et des jardins privés individuels ne sont pas explicitement concernés (à part dans les réserves naturelles, s’agissant du cadre bâti). Dans tous les cas, les mesures favorables à la biodiversité sont connues : viser une sobriété de l’éclairage et, le cas échéant, cibler au mieux cet éclairage (dans le temps, dans l’espace) avec des sources lumineuses les moins néfastes (le moins d’éblouissement, des couleurs chaudes, etc.). Tout particulier souhaitant s’inscrire dans une démarche vertueuse vis-à-vis de la biodiversité peut appliquer volontairement ces choix simples. En raison du développement massif des éclairages « faciles », la responsabilité des particuliers ne va faire que grandir, afin de ne pas perdre d’un côté ce que les progrès en matière d’éclairage public auront permis de gagner de l’autre.

Remerciements

Je remercie vivement Matthieu Iodice (du Cerema) pour son aide dans la lecture de l’arrêté ministériel du 27/12/2018, Aleksandra Delcourt (Éconception) pour la réalisation de la figure 4, et Anne Teyssèdre (SFE2) pour ses relectures attentives et ses suggestions.

Bibliographie

Alcott B., 2005. Jevons’ paradox. Ecol. Economics 54, 9– 21.

Eccard J.A., Scheffler I., Franke S. & Hoffmann, J., 2018. Off‐grid: solar powered LED illumination impacts epigeal arthropods. Insect Conserv Divers 11, 600-607. https://doi.org/10.1111/icad.12303

Falcón J., Torriglia A. et al., 2020. Exposure to Artificial Light at Night and the Consequences for Flora, Fauna, and Ecosystems. Frontiers in Neuroscience 14, 602796. https://doi.org/10.3389/fnins.2020.602796

INSEE, 2018. https://www.insee.fr/fr/statistiques/3303460?sommaire=3353488

Kyba C.C.M., Kuester T et al., 2017. Artificially lit surface of Earth at night increasing in radiance and extent. Science Advances 3(11), e1701528. https://doi.org/10/gcmzgx

Perkin E.K., Hölker + Initiales du prénom ? et al., 2011. The influence of artificial light on stream and riparian ecosystems: questions, challenges, and perspectives. Ecosphere, 2:art122. https://doi.org/10.1890/ES11-00241.1

Prugh L.R. & Golden C.D., 2014. Does moonlight increase predation risk? Meta-analysis reveals divergent responses of nocturnal mammals to lunar cycles. J Anim Ecol, 83: 504-514. https://doi.org/10.1111/1365-2656.12148

Sanders D., Frago E., Kehoe R., Patterson C. & Gaston K.J., 2020. A meta-analysis of biological impacts of artificial light at night. Nature Ecology & Evolution 5, 74-81. https://doi.org/10.1038/s41559-020-01322-x

Sordello R., 2017. Pollution lumineuse: longueurs d’ondes impactantes pour la biodiversité. Exploitation de la synthèse bibliographique de Musterset al. (2009). UMS 2006 Patrimoine naturel AFB-CNRS-MNHN. Rapport Patrinat n°2017-117. 18p. https://bit.ly/36y6izv

Svechkina A., Portnov B.A. & Trop T., 2020. The impact of artificial light at night on human and ecosystem health: A systematic literature review. Landscape Ecology 35(8), 1725-1742. https://doi.org/10.1007/s10980-020-01053-1

Teyssèdre A., 2008. Environnement: Frugalité non ordonnée n’a pas d’effet. Le Monde, supplément Economie, 01-04-2008, page VI.

Regards connexes, autres liens

Sissler-Bienvenu C., 2019. La pollution sonore des océans. Regards et débats sur la biodiversité, SFE2, Regard R83, janvier 2019.

Sordello R., 2017. Trame verte, trame bleue et autres trames. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard R72, mai 2017.

Thompson J. et O. Ronce, 2010. La fragmentation des habitats. Regards et débats sur la biodiversité, SFE, Regard R6, nov. 2010.

Regards sur les relations Homme – Nature : https://sfecologie.org/tag/relation-homme-nature/

Sur la préservation de la biodiversité : https://sfecologie.org/tag/preservation-biodiversite/

Sur culture et biodiversité : https://sfecologie.org/tag/culture/

Sur le fonctionnement des écosystèmes : https://sfecologie.org/tag/fonctionnement/

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Informations sur la règlementation :

– Arrêté ministériel du 27/12/2018 relatif à la prévention, à la réduction et à la limitation des nuisances lumineuses : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000037864346/

– Arrêté ministériel du 21/12/2018 fixant la liste et le périmètre des sites d’observation astronomique exceptionnels : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000037864375

– Notice explicative du Ministère de l’Ecologie :

https://www.ecologie.gouv.fr/arrete-du-27-decembre-2018-relatif-prevention-reduction-et-limitation-des-nuisances-lumineuses#scroll-nav__4

– Décryptage de l’arrêté ministériel par le Cerema :

https://www.cerema.fr/fr/actualites/decryptage-arrete-ministeriel-nuisances-lumineuses-contexte

Autres sites d’intérêt :

Webinaire grand public « Pollution lumineuse » du MOOC TVB : https://vimeo.com/525521666

Infographie OFB : https://naturefrance.fr/pollutions#paragraph_412

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Regard édité et mis en ligne par Anne Teyssèdre.  Une version légèrement différente de cet article paraîtra prochainement dans la revue Le Courrier de la Nature, éditée par la SNPN. (https://www.snpn.com/lecourrierdelanature/)

 

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